Chronique de la Société Artistique - Pierre Raffanel
Enveloppe illustrée réalisée par Frédéric Pioche, postier, adressée à Alphonse Perrault, gouache et aquarelle sur papier (© Musée de La Poste – La Poste, 1905/ Thierry Débonnaire, 2019)
L’histoire postale est aussi une histoire de l’art qui traverse les courants artistiques. Ainsi, au XIXe siècle, l’essor de la correspondance voit l’émergence d’un espace de création tant pour les particuliers que pour les artistes « reconnus ». A travers l’envoi d’une lettre ou d’une carte postale, les expéditeurs de toute sorte se sont amusés avec les codes de l’administration, de l’agrément d’une enveloppe à la subversion d’un réseau d’artistes engagés. La Poste a su, parfois bien malgré elle, être le vecteur de créations s’affranchissant de ses conventions et une source d’inspiration unique pour les artistes détournant boîtes aux lettres ou sacs postaux.
De l’art par La Poste, les enveloppes décorées
La correspondance en France connaît un plein essor au milieu du XIXe siècle avec la naissance du timbre en 1849 et l’apparition des enveloppes manufacturées. Jusqu’alors les lettres étaient pliées et cachetées par l’expéditeur et leur acheminement coûteux. Le papier se démocratise et l’alphabétisation permet l’accès à l’écrit d’une grande partie de la population. Les échanges se multiplient et les expéditeurs ne se privent pas d’illustrer leurs envois : dessin, gouache, aquarelle … Le postier Frédéric Pioche a ainsi peint de nombreuses enveloppes au début du XXe siècle, intégrant de manière facétieuse l’adresse de son correspondant à des scénettes illustrées. Des artistes actuelles comme Chris Besser ou Sylvie Graindorge ont également intégré à leur pratique l’enveloppe peinte ou détournée.
La carte postale
Née à Vienne en 1869, la carte postale explose réellement en France lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900. Des milliers d’exemplaires de cartes y sont vendus. Très diffusée grâce aux progrès techniques de l’impression, la carte postale connaît un véritable engouement populaire. Les artistes s’en emparent et en font un objet d’avant-garde : expressionnistes, futuristes, dadaïstes et surréalistes ont utilisé la carte postale comme support dans le premier quart du XXe siècle. Paul Eluard en fit la collection et se livra à des montages fantaisistes et poétiques. Après la Première Guerre mondiale, la crise de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale, la carte postale est en déclin et apparaît démodée face à l’accélération tout au long du siècle des télécommunications. Ce mode d’échange, associé aux vacances, garde cependant son aura nostalgique et reste un support artistique.
Artistes en correspondance
Dans les années 1960, années contestataires, apparaissent des réseaux d’artistes utilisant la voie postale comme espace d’expression libre, affranchie du marché de l’art. Ce sont les débuts du Mail Art, mouvement fondé à New York par l’artiste Ray Johnson en 1962. Il crée la « New-York Correspondance School of Art » et multiplie les actions, en postant des lettres collages recouvertes d’images insolites dessinées ou découpées dans des magazines, invitations à des rendez-vous réels ou fictifs. Il les expédie à l’attention de personnalités en vue ou alors à de parfaits inconnus choisis au hasard dans les pages de l’annuaire. Selon Johnson : « le Mail Art appartient à tous, il doit être l’affaire de tous et non pas d’un seul ». Il fixe les règles suivantes « not for sale, no copyright » : (pas à vendre, pas de droit de reproduction), « no fee, no jury, no technic and size free » : (pas de droit d’inscription, pas de jury, pas de technique et dimension libre). Très vite apparaissent des réseaux (ou « networks ») d’artistes à travers le monde, la plupart engagés politiquement et correspondant avec des pays soumis à la dictature, en Amérique du Sud ou en Europe de l’Est, contournant la censure pour défendre les droits humains. Ces réseaux mouvants détournant timbres et tampons, utilisant tous supports, seront très actifs jusqu’à la fin des années 1980. L’artiste japonais Ryosuke Cohen en propose une synthèse dans son œuvre collective Brain Cell (cellule cérébrale) commencée en 1985. A partir des timbres et des tampons créés et envoyés par son réseau (des milliers de membres à travers plus de 80 pays), l’artiste compose des sérigraphies sur papier aussi denses et variées que le tissu cérébral humain. Chaque participant en reçoit une copie avec la liste des contributeurs.
Le mouvement disparaît peu à peu dans les années 1990 au profit d’Internet, qui devient le moyen d’expression privilégié des Mail Artistes. Des « Mail Art call » ou « appels d’Art Postal » sont lancés quotidiennement sur des thématiques variées. Des forums et des galeries en ligne sont également proposés.
Le Mail Art, mouvement libre, échappe encore à toute définition trop figée et permet de repenser l’art sous le prisme de l’échange, du don et de la réciprocité.
L’Art Postal
L’Art Postal s’inspire d’une manière très générale de l’institution postale et de son univers matériel en le détournant de sa fonction première. Son champ d’action est vaste, allant de la création graphique sur enveloppe ou tout autre objet de corres-pondance jusqu’à l’objet postal revisité.
Ainsi, la boîte aux lettres a été le support de nombreuses inspirations artistiques, de la facétieuse Boîte alerte de Marcel Duchamp et Mimi Parent réalisée en 1959-1960 comme catalogue-objet de l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS), aux œuvres de Street Artistes actuels.
Citons parmi d’autres, l’artiste Skall qui crée la Boîte de lumière, série de boîtes aux lettres recouvertes de peinture à paillettes (1995) ou encore C215 qui les métamor-phose avec ses portraits au pochoir.